Vous voyez ces filles parfaites, à qui tout réussit? Ani en est une. Vingt-huit ans, un job glamour de rédactrice dans un magazine féminin, des vêtements de grands couturiers, une coiffure impeccable, un fiancé riche et beau issu d’une vieille famille de la côte Est. La quintessence de la New-Yorkaise sophistiquée et ambitieuse.

Sauf que tout ça, c’est du flan. Ani est fausse de la racine artificiellement blondie de ses cheveux à ses ongles de pieds manucurés. Vide. De la poudre jetée aux yeux des autres pour les convaincre qu’elle fait partie de l’élite bourgeoise de Manhattan, celle qui a grandi une cuillère en argent dans la bouche, maîtrise les codes du bon goût depuis la maternelle et porte la minceur inscrite dans ses gènes. Pour effacer celle qu’elle était jadis: une fille de la classe moyenne aux origines italiennes qui a grandi dans une banlieue triste. Une fille qui s’appelait TifAni.

DES QUARTIERS CHICS DE MANHATTAN AUX PUPITRES DU LYCEE

Narré par une Ani adulte, le roman entremêle les scènes de sa vie quotidienne, centrée sur ses préparatifs de mariage, et des flashbacks vers une période douloureuse de son adolescence.

D’un côté, c’est Sex and the City, le petit monde de la jet-set new-yorkaise, dans lequel choisir la mauvaise marque de sac à main suffit à vous faire déchoir définitivement dans la catégorie méprisable des provinciales, des ringardes ou des nouveaux riches. Une certaine version du rêve américain, un univers prétentieux que Jessica Knoll connaît bien puisqu’elle est rédactrice chez Cosmopolitan – et croque avec un cynisme réjouissant.

De l’autre, c’est un lycée prestigieux fréquenté par les gamins des familles aisées, où TifAni débarque à l’aide d’une bourse. Pour se rendre compte de l’abîme qui la sépare de ses condisciples, elle dont les parents vivent à crédit en confondant luxe et ostentation.

American Girl, de Jessica Knoll

Deux intrigues se juxtaposent donc. La première mène au mariage qui doit constituer le couronnement de la success-story d’Ani. Or, celle-ci est très antipathique. Superficielle, arrogante, méprisante, jalouse, on a envie de la gifler dès les premières pages. Au point que j’aurais pu avoir envie d’arrêter ma lecture… sans ces indices qui, très vite, laissent entendre que sous des dehors de poupée se cache quelque chose de bien plus sombre qu’un simple esprit de compétition. Que tous les symboles de réussite qu’Ani s’est donné tant de mal pour décrocher, à commencer par la bague de fiançailles, sont peut-être des boulets autant que des trophées. Jessica Knoll nous aiguille délicatement: quel est ce documentaire auquel Ani a prévu de participer, en lien avec son ancien lycée? Sur quoi, exactement, cherche-t-elle à prendre sa revanche?

On devine donc déjà que la seconde intrigue, qui nous raconte la rentrée de TifAni au lycée Bradley et ses efforts pour s’intégrer, risque bien d’être révélatrice. Et en effet, elle le sera. Impossible d’en dire plus sans spoiler. Sachez seulement que cette partie du récit s’avère sombre et violente, beaucoup plus ce que j’avais imaginé au départ, et que l’effet de surprise a parfaitement fonctionné sur moi. Si le roman ronronne un peu trop dans sa première moitié, l’autrice nous assène ensuite un véritable coup de massue qui génère un suspense insoutenable dans le dernier tiers de l’histoire.

BAS LES MASQUES

Le texte tisse peu à peu des liens entre ces deux intrigues parallèles, entre la TifAni de quatorze ans et l’Ani de vingt-huit. Au fur et à mesure que les zones d’ombre s’éclaircissent, on s’attache à TifAni et à travers elle, on commence à comprendre Ani. Sa détermination à se réinventer prend un nouveau sens et derrière la tête à claques du début se dessine une jeune femme vulnérable, produit de traumatismes qu’elle n’a pas su dépasser.

En même temps qu’Ani et TifAni se rapprochent à nos yeux, le masque d’Ani se fissure, sa capacité à jouer le rôle qu’elle s’est assigné s’étiole. On s’interroge alors sur son obsession pour les apparences et tous les efforts qu’elle est prête à fournir pour les maintenir – le sport à outrance, le régime draconien, la savante construction d’un personnage répondant aux exigences de son milieu au mépris de sa propre personnalité: ne seraient-ils pas une autre variante des violences subies au lycée, qu’elle s’inflige à elle-même cette fois?

Derrière ce portrait d’une jeune femme mal dans sa peau transparaît ainsi une critique acerbe du conformisme social et des ravages que celui-ci peut causer, à tout âge. Jessica Knoll livre aussi une frappante étude de cas de formes variées de violences en milieu scolaire, de l’ampleur que celle-ci peuvent prendre et de l’impact durable qu’elles ont sur les victimes. A la fin du roman, on ne souhaite qu’une chose: que TifAni s’en sorte et qu’Ani ait le courage de faire les bons choix.

American Girl, Jessica Knoll. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hubert Malfray. Actes Sud, Collection Babel, 2018. 475 p.

A lire si: vous pensez qu’il n’y a rien de plus dur que d’être soi-même, surtout si cela ne correspond pas à votre idéal ou celui de votre entourage.
A fuir si: vous avez vécu des moments difficiles à l’adolescence et préférez éviter d’en raviver le souvenir.

 

 

7 thoughts on “American Girl de Jessica Knoll, la face cachée du succès”

    1. Chouette alors! Je l’avais un peu choisi au hasard, mais c’était une bonne surprise même s’il faut s’accrocher un moment avant que ça devienne vraiment prenant.

  1. Quand t’as commencé à décrire la première partie, je me suis dit « Non mais c’est bon, j’ai regardé les 2 premières saisons de Gossip Girl, je connais » xD. Mais de ce que tu nous dis de la suite, ça a l’air bien plus intéressant, étoffé. Ces questions de classe sociale et des codes que tu dois respecter pour y appartenir (et la souffrance engendrée, j’imagine même pas), ça doit être pas mal.

    Merci pour ta chronique en tout cas !

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