Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les travailleurs se font rares dans les pays en conflit. C’est pourquoi des milliers d’adolescentes sont enlevées dans les pays de l’Est et contraintes à servir comme bonnes d’enfant en Allemagne. Des employées que les familles ont préféré oublier, après la défaite… Et dont certaines aimeraient ne jamais avoir à se rappeler, comme va le découvrir à ses dépens Joachim Vernau.

C’est un avenir doré qui s’ouvre devant ce brillant avocat. Bientôt marié à Sigrun, séduisante politicienne en route vers une grande carrière, il vit dans la maison de maître de sa famille, les von Wernikow, membres de la haute bourgeoisie berlinoise. Bientôt associé de son beau-père, célèbre membre du barreau à l’étude florissante, il voit défiler dans son bureau clientèle fortunée et affaires juteuses. Rien ne semble pouvoir entraver cette belle réussite… Du moins, jusqu’au jour où une vieille femme slave surgit en exigeant qu’Utz von Wernikow, le patriarche, signe un mystérieux papier rédigé en cyrillique. Un certificat concernant une certaine Natalia, dont nul chez les von Wernikow ne semble jamais avoir entendu parler. C’est le début d’un engrenage qui sera fatal à tout ce que Joachim pensait savoir sur sa belle-famille, et même sur l’histoire de son pays…

Couverture de Hier ou jamais par Elisabeth Herrmann

DES PERSONNAGES ATTACHANTS

Il m’a fallu un peu de patience en commençant ma lecture, car l’intrigue démarre assez lentement. Mais je n’ai pas regretté d’avoir persévéré: une fois un certain rythme installé, l’histoire m’a vraiment accrochée! Tout d’abord grâce à son héros et narrateur, Joachim. Son image de golden boy à qui tout réussit pourrait être insupportable, s’il ne faisait pas preuve d’une ironie à l’égard de ce qui l’entoure et d’une autodérision plus que bienvenues. Un régal pour moi qui suis très sensible à cette forme d’humour! De quoi compenser sa naïveté parfois confondante et une certaine forme de détachement à l’égard des personnes supposées compter à ses yeux. Une galerie de rôles secondaires savoureux – la truculente baronne, la mère de Joachim et sa femme de ménage – complètent agréablement le casting et insufflent de la vie au récit. Dommage que les deux principaux personnages féminins soient plus stéréotypés: l’élue bourgeoise qui fait campagne en Porsche et ne vit que pour gagner des voix, l’avocate de gauche qui sacrifie la rentabilité à ses idéaux, un poster du Che au-dessus de son bureau…

UN ROMAN ENGAGE

J’ai surtout apprécié la dimension engagée de ce roman. En effet, Elisabeth Herrmann, auteure allemande, ne se limite pas à raconter une histoire de secrets de famille qui serait, au final, assez banale. Au-delà des petites cachotteries des von Wernikow, ce sont les mensonges et les dénis d’une Allemagne qui s’est rebâtie sur les ruines du nazisme sans faire totalement le ménage qu’Elisabeth Herrmann dénonce. Elle m’a ainsi fait découvrir un pan du passé de son pays dont j’ignorais totalement les détails. Bon, il est vrai que je n’y connais pas grand-chose et que je n’ai jamais fait beaucoup d’efforts dans ce sens – sans même parler d’étudier l’histoire, je n’ai lu que très très peu de littérature allemande, par exemple. Mais ce que je trouve particulièrement intéressant ici, c’est que les problématiques soulevées par l’auteure sont, ou du moins étaient au moment de la publication initiale du roman (en 2005), encore ignorées de bon nombre de ses contemporains. Souvent en toute bonne foi, mais parfois aussi par refus d’assumer les fautes commises sous le IIIe Reich, cette période obscure et encore honteuse pour de nombreux survivants… Ainsi, ces jeunes filles enlevées à leur famille et forcées à venir travailler en Allemagne ont encore bien du mal à faire entendre leurs souffrances et à obtenir les indemnités qui leur sont dues. En militant pour leur reconnaissance, Elisabeth Herrmann confère à son oeuvre une dimension politique qui va bien au-delà du simple divertissement. Hier ou jamais est certes un polar de bonne facture, mais surtout au fond un roman sur le devoir de mémoire. Les squelettes dissimulés dans les placards de l’Histoire finiront toujours par en ressortir, et ils ne seront pas contents. Telle pourrait être la morale de cette histoire, qui, par son insistance à dévoiler les secrets peu reluisants de la société allemande, rappelle la série Millenium de Stieg Larsson, si doué pour exposer les dessous sales de la Suède contemporaine.

Vous l’aurez compris, ce livre a été pour moi une très bonne surprise, et je remercie vivement les Editions Slatkine & Cie de me l’avoir fait découvrir!

Hier ou jamais, Elisabeth Herrmann. Trad. Céline Maurice. Slatkine & Cie, 2016. 509 p.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *