La Terre imaginée par N.K. Jemisin dans les Livres de la Terre fracturée, que La Cinquième saison inaugure, est violente. Furieuse. Jour après jour, elle tremble de rage et crache le feu de sa colère sur les humains. Ceux-ci ont appris à vivre avec la menace et fondé leur civilisation sur cet impératif: résister aux secousses grâce à la science nommée lithomnésie. Jusqu’à ce que périodiquement un séisme ou une éruption pire que les autres provoque une Cinquième saison: un hiver causé par les cendres d’origine volcanique. Alors, pendant des mois, des années de famine, ils s’efforcent seulement de survivre.

Dans ce monde âpre où la population est divisée en castes en fonction des capacités que chacun peut apporter à sa communauté, on suit trois femmes. La petite Damaya, enfant qui apprend à contrôler ses pouvoirs; Syénite, envoyée par ses supérieurs accomplir une mystérieuse mission; et vous, Essun, dont le mari a tué le fils et enlevé la fille. Toutes, des orogènes qui ont le don de maîtriser les forces telluriques, sont capables de soulever les montagnes et de juguler les tremblements de terre. Un don? Une malédiction plutôt, car aux yeux de tous les orogènes sont des monstres; ceux qui n’ont pas la « chance » d’être détectés et enlevés à leur famille pour être formés au Fulcrum sont impitoyablement massacrés.

Trois destins qui convergent, alors que vient de se produire l’un des pires séismes que la Terre ait jamais connu, inaugurant peut-être la Saison dont l’humanité ne se relèvera pas.

J’étais curieuse de découvrir cette trilogie de l’Américaine N.K. Jemisin. Sachant que chacun des tomes qui la composent a été auréolé du Prix Hugo, prix de référence dans le domaine de la fantasy et de la science-fiction, j’avais forcément certaines attentes. Si le coup de coeur n’a pas été au rendez-vous, pas de déception non plus mais une lecture agréable.

Volcan et lave coulant dans la mer
Photo par Buzz Andersen pour Unsplash

UN RÉCIT BIEN CONSTRUIT

La structure narrative du roman est particulièrement efficace. Elle alterne entre les chapitres dédiés à Essun, Damaya et Syénite, ce qui nous permet nous familiariser avec les différents statuts des orogènes et les étapes que ceux-ci sont susceptibles de connaître dans leur parcours. Damaya est en formation, Syénite en début de carrière – les orogènes qui ont suivi l’entraînement officiel remplissent des tâches diverses visant à stabiliser la croûte terrestre et limiter l’activité volcanique, – quant à la troisième, elle vit dans la clandestinité. N.K. Jemisin nous donne ainsi peu à peu les clés d’un univers original et d’une grande cohérence, centré sur les fureurs de la Terre comme le peuple dont elle conte l’histoire.

Dans les chapitres consacrés à Essun, elle opère un choix stylistique déroutant au premier abord. Rédigés à la deuxième personne, la narratrice semble s’y adresser directement à la protagoniste, plaçant de fait le lecteur dans la peau d’Essun. Une manière habile de nous amener à connaître les différentes facettes de cette femme à la fois déterminée et mystérieuse. Lancée sur les routes envahies par des réfugiés fuyant le séisme, elle n’hésite pas à braver pluie de cendres, brigands et créatures sanguinaires pour retrouver sa fille, tout en s’efforçant de préserver des secrets dont on ne comprend l’étendue qu’à la toute fin du roman. Comme Essun, tous les personnages sont profonds et souvent ambivalents, loin de tous clichés.

L’ESCLAVAGE EN FILIGRANE

J’ai apprécié aussi la critique d’une société qui exploite les orogènes, indispensables à sa survie, tout en les diabolisant. Les orogènes officiels dans leurs uniformes noirs subissent le mépris de ceux qu’ils protègent. Ils sont considérés comme dangereux car incontrôlables et incapables de se contrôler eux-mêmes, ce pourquoi on leur assigne des gardiens qui ont tout pouvoir sur eux. Entrer au Fulcrum, c’est pour un orogène la seule façon de survivre, mais c’est aussi perdre tout contrôle sur sa destinée; ils deviennent des outils au service de leurs maîtres. On leur impose ainsi la reproduction, avec des partenaires sélectionnés par les autorités dans le but d’assurer une descendance dotée des meilleures capacités possibles, des enfants qui seront de fait la propriété du Fulcrum et que leurs parents n’élèveront pas. Un système qui ressemble fort à l’esclavage, peu à peu dévoilé et questionné par le plus puissant des orogènes, un homme à la peau d’ébène ironiquement baptisé Albâtre.

Ce premier tome m’a donc fait plutôt bonne impression, avec son univers particulier, son histoire prenante et de nombreux mystères non élucidés. J’ai la sensation d’avoir seulement effleuré les multiples secrets de la Terre fracturée et vais donc probablement lire la suite de la saga, qui doit a priori être aussi riche que le début!

La Cinquième saison, N.K. Jemisin. Traduction Michelle Charrier. Editions J’ai Lu, 2017, 457 p.

À lire si: vous avez envie de vous ouvrir à une oeuvre de SFFF qui exprime un point de vue féminin et racisé. À fuir si: vous préférez en rester aux bons vieux univers médiévaux fantastiques.

10 thoughts on “La Cinquième saison, un bon premier tome pour les Livres de la Terre fracturée”

  1. J’avais jamais entendu parler de ce livre… Quand j’ai vu le titre « La Cinquième Saison », je croyais que c’était le 5ème tome, en mode « oulala, mais ça va spoiler de ouf, cet article » xD

    L’histoire a l’air assez intéressante, en tout cas, mais je pense que j’enfonce des portes ouvertes en disant ça.

    1. Haha, non, déjà que même des trilogies je réfléchis à deux fois avant de m’y lancer parce que j’ai peur que ça fasse trop… Je crois que la dernière fois que j’ai lu un cinquième tome de quelque chose c’était Harry Potter et l’ordre du Phoenix!:-)

  2. Comme Ada je croyais que tu allais parler d’un cinquième tome !
    Ta chronique donne envie, mais comme je ne me fie jamais que aux chroniques (à chaque fois que je l’ai fait j’ai été déçue), j’ajouterai que le livre en lui-même a l’air bien. Et comme je viens de voir qu’il est disponible à la bibliothèque de ma ville, je note le titre et essaierai de l’emprunter dès que possible 😉

    1. Je devrais en parler à la maison d’édition, si ça se trouve il y a plein de gens qui ne le lisent pas parce qu’ils croient que c’est un 5e tome!
      Tu as raison de ne pas te fier qu’aux chroniques! la bibliothèque c’est toujours une bonne option, ça permet de ne pas prendre trop de risques;-)

  3. J’aime beaucoup ton blog. Un plaisir de venir flâner sur tes pages. Une belle découverte et un blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésite pas à visiter mon univers. A bientôt.

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