Une fois n’est pas coutume, c’est la couverture de Sommeil qui m’a attirée. Il faut dire que je me trouvais non pas dans une librairie mais dans la boutique d’un musée. Eh oui, j’arrive à trouver des bouquins n’importe où… J’ai donc feuilleté l’ouvrage par curiosité, et eu un coup de foudre pour les images qu’il contenait. Je ne fais pourtant pas partie des personnes qui accordent autant, voire plus d’importance à l’objet-livre qu’au contenu. Mais ces dessins à la fois poétiques et mystérieux m’ont immédiatement parlé.

Cette oeuvre a en effet ceci de particulier qu’il s’agit d’une nouvelle de l’auteur japonais Haruki Murakami illustrée par la dessinatrice allemande Kat Menschik. Comme vous l’aurez compris, c’est le travail de cette dernière qui m’a séduite en premier lieu. J’étais plus circonspecte vis-à-vis de Murakami, ma seule tentative de le lire jusqu’alors s’étant soldée par un échec: je suis définitivement restée au bord de Kafka sur le rivage. Autant dire que Sommeil m’est apparu comme la porte idéale pour essayer à nouveau d’entrer dans l’univers de l’écrivain!

Couverture de Sommeil par Haruki Murakami, illustré par Kat Menschik

LE TEXTE…

Sommeil, c’est l’histoire… d’une insomnie. Après un rêve étrange, sa narratrice cesse tout simplement de dormir. Pendant dix-sept jours et dix-sept nuits. Pendant ses nuits blanches, elle lit et relit Anna Karénine, retrouve les plaisirs simples perdus depuis son mariage, et se sent vivre pour de vrai, enfin… La prose est limpide, sans fioritures, comme la vie banale de cette femme au foyer dont la routine s’égrène sans variation jour après jour. Une simplicité qui fait écho à celle de l’intrigue: à part le cauchemar du début, pas d’événements marquants, de rebondissements, juste la vie quotidienne décrite par petites touches précises. Rien de magique non plus dans cette absence de sommeil, et même de fatigue, qui constitue tout de même une « anomalie biologique ». Et pourtant, toute la nouvelle baigne dans une atmosphère irréelle, un peu sinistre parfois.

En équilibriste consommé, Murakami tend son fil à l’exacte limite entre réalisme et surnaturel et parvient à nous faire traverser presque 100 pages sans verser ni d’un côté, ni de l’autre. Il nous plonge ainsi dans un espace indéfini qui reflète celui dans lequel évolue sa narratrice. Celle-ci semble flotter sans cesse, entre son existence et celle des personnages d’Anna Karénine, le roman dans lequel elle reste plongée intérieurement alors qu’elle accomplit toutes ses tâches de bonne mère de famille comme un automate; entre éveil et sommeil; voire même entre la vie et la mort… Etat limite qui caractérise le genre fantastique, dont Murakami est un maître, mais que l’on peut aussi comprendre comme une métaphore de la lecture, à laquelle la narratrice s’adonne passionnément. Ne sommes-nous pas tous, lorsque nous nous plongeons dans un roman, comme suspendus entre deux réalités, physiquement présents dans le monde extérieur mais mentalement totalement absorbés par celui du livre?

Sommeil, l’histoire d’une insomnie? Ou d’un rêve éveillé? A vous de vous faire votre opinion.

ET L’IMAGE

La nuit et l’eau, tels sont les deux thèmes qui ressortent des illustrations de Kat Menschik. La nuit, à travers les couleurs: noir, blanc, argenté, et les papillons qui se posent ici et là. L’eau, sous forme de rivières, poissons et méduses qui parsèment les pages, en écho à la métaphore aquatique développée par Murakami pour signaler l’entre-deux dans lequel se trouve sa narratrice. Chargés de symboles, les dessins contribuent fortement à l’ambiance onirique qui se dégage de la nouvelle. Comme le texte, qui requiert d’aller au-delà du sens littéral des mots pour en percevoir toutes les nuances, les images exigent un regard attentif pour déceler les nombreux éléments qui les composent et leurs liens avec la narration. Surtout, les illustrations constituent bien plus qu’un simple ajout esthétique: elles enrichissent le sens du texte, révèlent les aspects les plus souterrains (sous-marins?) de celui-ci, engagent le lecteur à y retourner pour comprendre la présence de tel ou tel détail. En y revenant, on se sent alors comme la narratrice qui, à sa troisième relecture d’Anna Karénine, s’émerveille d’y trouver sans cesse quelque chose de nouveau:

Comme une série de boîtes, chaque monde en contenait un autre plus petit, et ainsi à l’infini. Et, tous ensemble, ces mondes formaient un univers entier, et cet univers était là, attendant d’être découvert par le lecteur.

Cette phrase résume à merveille Sommeil, son texte et ses illustrations comme autant de petits mondes à visiter et à relier pour parcourir un univers aux possibilités infinies. Une exploration passionnante, qui ne m’a donné qu’une envie: aller plus loin dans ma découverte de la galaxie Murakami!

Aimez-vous cet auteur? Un titre en particulier à me conseiller?

Sommeil, Haruki Murakami. Illustrations par Kat Menschik. Traduit du japonais par Corinne Atlan. Paris, Editions 10/18, 2011 (nouveau tirage 2015). 94 p.

INDICATIONS

A lire si: Vous aimez les livres qui portent une réflexion sur la lecture et la littérature. Vous êtes sensibles aux graphismes léchés et élégants. 
A fuir si:
Vous avez du mal à supporter l’ambigüité. Vous voulez que l’on vous donne des réponses claires.

 SI CE LIVRE VOUS INTÉRESSE…

Deux autres nouvelles de Murakami illustrées par Kat Menschik ont été publiées aux Editions 10/18: L’étrange bibliothèque et Les attaques de la boulangerie.

4 thoughts on “« Sommeil » de Haruki Murakami et Kat Menschik, un régal pour l’esprit et les yeux”

  1. Après avoir été moyennement convaincue par Des hommes sans femmes, je m’étais quand même mis de côté Kafka sur le rivage sans grande conviction toutefois :/
    Pourquoi pas ce texte, les illustrations doivent apporter un petit plus.

    1. Ah oui j’ai lu ton article sur Des hommes sans femmes, ça m’a moyennement motivée! Et Kafka, ce n’était pas une bonne expérience pour moi. A réessayer un jour peut-être. En attendant j’ai lu plusieurs critiques sur IQ 84 qui m’ont fait envie donc je pense essayer de le lire un de ces jours!

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