C’est une famille américaine typique: Edie et Richard, leurs enfants, Robin et Benny, leurs petits-enfants, Emily et Josh. Des vies paisibles en banlieue, rythmées par les fêtes juives et les barbecues. La banalité au quotidien.

Mais quand l’obésité d’Edie atteint un seuil critique, mettant sa santé et sa vie en danger, quand Richard la quitte au moment où elle tombe malade, la routine se fissure et les relations familiales apparaissent dans toute leur fragilité. Avec un humour grinçant, Jami Attenberg dévoile peu à peu les failles du rêve américain et les maux qui rongent la famille, ce noyau central de nos sociétés.

L’auteure construit avec intelligence son roman, en adoptant tour à tour le point de vue de chacun des membres de la famille. Ce dispositif narratif permet au lecteur de comprendre les motivations et les sentiments de chacun, l’empêchant ainsi efficacement de prendre parti pour l’un ou l’autre des personnages. Si certains nous seront forcément plus sympathiques que d’autres, nous pouvons en effet nous projeter à la place de chacun d’entre eux. De Richard qui, à l’approche de la soixantaine, veut donner une dernière chance à l’amour et au désir, quitte à essuyer de cruelles déceptions en cherchant la femme de ses rêves sur internet; de Benny, qu’une calvitie naissante plonge dans la plus profonde angoisse; de sa femme Rachelle, épouse et mère apparemment idéale, mais obsédée par la diététique au point d’affamer sa famille; de Robin, la rebelle, qui boit trop pour supporter le train-train quotidien. Et bien sûr d’Edie, qui n’a trouvé d’autre moyen pour se protéger des difficultés de l’existence que de manger, manger, manger… Ce sont les fêlures intimes de chacun qui finissent par fracturer la famille. Seuls traits d’union qui restent entre ses membres, une histoire douloureuse et le joint qui apaise leurs névroses au bord de la piscine…

Au-delà du portrait d’une communauté ou d’une classe sociale, La Famille Middlestein représente donc surtout un petit concentré d’humanité. Peur de la vieillesse, de la maladie et de la mort, rapports pathologiques à la nourriture, obsession de l’apparence, crainte du regard d’autrui, adolescence difficile, conflits de loyauté, peur de l’attachement, besoin d’amour, les problèmes qui assaillent les Middlestein sont profondément universels et représentatifs des travers de la société contemporaine. Jami Attenberg nous tend ainsi un miroir de notre propre existence, parfois drôle, parfois amer, toujours lucide, qui reflète parfaitement l’ambigüité de la vie telle que Richard la décrit à la fin du livre:

un empilement de multiples couches et tonalités, n’est-elle pas colorée de toutes sortes de nuances de gris?

J’ai apprécié ce roman pour sa manière d’aborder des thèmes parfois graves avec une certaine légèreté, une forme d’ironie parfaitement dosée pour ne jamais plonger les personnages dans le ridicule. Le lecteur garde ainsi la possibilité de s’y attacher, de s’intéresser à leur destin, tout en conservant une certaine distance critique vis-à-vis de leurs actions. J’ai aussi été touchée par le regard tout en nuances que l’auteure pose sur des personnages et des comportements qu’un écrivain moins subtil aurait facilement pu transformer en stéréotypes. Un encouragement pour chaque lecteur à admettre que rien n’est complètement noir ou blanc et à faire preuve d’une plus grande tolérance.

La Famille Middlestein, Jami Attenberg. Trad. française par Karine Reigner-Guerre, éditions Les Escales, 2014.

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