Morwenna, 15 ans, a perdu sa soeur jumelle Morganna dans un accident de voiture qui l’a aussi laissée invalide. Présenté comme son journal intime, le roman retrace sa vie quotidienne dans le pensionnat où on l’a envoyée poursuivre sa scolarité. Un endroit où elle ne se sent pas du tout à sa place. Parce qu’elle boîte, qu’elle est Galloise et pauvre, dans cette école d’Anglaises où le sport et le statut social comptent plus que tout. Mais surtout parce qu’elle ne vit que pour les livres et la science-fiction, qu’elle parle aux fées et pratique la magie…

Contrairement à nombre de romans de fantasy, Morwenna ne s’articule pas autour d’une quête héroïque; si une forme de lutte contre le mal – ici incarné par la mère des jumelles – est bien présente, c’est uniquement à l’arrière-plan. Leçons, amitiés et menus événements de la vie scolaire constituent le gros du récit. Pour le reste, peu d’action ou de rebondissements, pas vraiment d’intrigue: l’histoire de Morwenna est plutôt celle du cheminement intérieur qui doit la mener à faire le deuil de sa soeur, grâce aux livres et à la magie.

UNE MAGIE SUBTILE ET AMBIGÜE

La magie, c’est celle de la nature et du folklore gallois, auxquels Morwenna est intimement liée. Il y a les paysages du pays de Galles, ces mines abandonnées retournées à l’état sauvage, ces usines en ruine qui ont servi de terrain de jeu aux jumelles pendant leur enfance. Le pouvoir des objets anciens, des aliments que l’on a cueillis et que l’on s’est donné la peine de cuisiner. Les fées, ces créatures évasives et indéfinies que l’on ne peut voir que si l’on y croit. Habituée à jouer les médiatrices entre elles et le monde des humains, Morwenna a appris leurs sorts et leur langage. Magie protectrice, magie destructrice aussi – c’est la magie noire de sa mère qui a coûté la vie à Morganna et qui continue à menacer Morwenna.

Magie ambigüe surtout, dans ses résultats comme dans ses manifestations. Elle fonctionne discrètement, sans éclairs ni grondements de tonnerre – et c’est bien le problème: il est impossible de savoir si un événement relève de la magie ou d’une pure coïncidence. Au point que son usage finit par instiller le doute chez Morwenna, qui soupçonne ses amis de lui prêter attention, voire d’exister, uniquement parce qu’elle l’a souhaité! On a donc affaire à un traitement plutôt fantastique de la magie, qui autorise plusieurs interprétations et niveaux de lecture. On finit également par douter: les fées et leurs pouvoirs existent-elles vraiment, ou sont-elles issues de l’imagination d’une adolescente qui a grandi avec Tolkien et a besoin de se convaincre, d’une manière ou d’une autre, que sa soeur n’est pas morte sans raison? Ou sommes-nous simplement trop adultes et sceptiques pour voir ce qui semble évident aux enfants et aux personnes plus proches de la nature…

Morwenna, de Jo Walton

LA LECTURE COMME REFUGE

Lire, pour Morwenna, n’a rien d’un hobby. C’est sa façon de se forger une philosophie et une vision critique du monde au travers de la science-fiction, mais aussi une bouée de sauvetage à laquelle elle se raccroche dans une période sombre de son existence.

Je n’ai pas fini ce que je voulais dire à propos de Tolkien. Le lire, c’est comme être transporté dans son monde. C’est comme trouver une source magique dans un désert. Il a tout … C’est une oasis pour l’âme. Même maintenant, je peux toujours me retirer dans la Terre du Milieu et être heureuse.

Les livres seront le refuge grâce auquel Morwenna supporte l’école, le point de départ de nouvelles amitiés et le ciment de la relation naissante avec son père. Les histoires, le besoin de savoir comment elles finissent, la certitude d’en avoir d’autres à découvrir et peut-être à écrire tissent le fil qui guidera Morwenna à travers le labyrinthe du deuil.

Cela avait été si dur sans elle tout ce temps, cette année maudite. J’avais voulu mourir, moi aussi, si mourir était nécessaire.

« A moitié », a dit Glorfindel, et il ne voulait pas dire que j’étais à moitié morte sans elle, ou qu’elle était à moitié passée de l’autre côté ni rien de tel, il voulait dire que j’en étais à la moitié de « Babel 17 » et que, si je continuais, je ne saurai jamais comment ça finissait.

Il peut y avoir des raisons plus étranges de rester en vie.

Il y a les livres. Il y a tante Teg et Grampar. Il y a Sam, et Gill. Il y a le prêt entre bibliothèques. Il y a les romans dans lesquels vous pouvez vous plonger.

Jo Walton égrène les références aux oeuvres de science-fiction tout au long du roman, ce qui peut étourdir si l’on n’est pas connaisseur. J’avoue que je n’avais jamais entendu parler de la plupart des romans et auteurs mentionnés (il faut aussi dire que Morwenna se passe en 1979 et que les ouvrages qu’elle lit datent de cette époque). J’ai donc décidé de saisir l’occasion pour me créer une liste de lecture de grands classiques de la SF des années 60 et 70!

PASSAGE À L’AGE ADULTE

On assiste ainsi à la lente reconstruction de Morwenna, grâce à la lecture, aux échanges qu’elle parvient à avoir autour de ses auteurs préférés, à la force qu’elle puise dans la nature sauvage du Pays de Galles. Jusqu’au moment de l’ultime affrontement, dans lequel Morwenna se trouve face à un choix radical. Sans vous révéler en quoi il consiste, j’y vois surtout une dimension symbolique: grandir ou rester prisonnière de la nostalgie de son enfance et de la relation fusionnelle avec sa soeur, se retrancher définitivement dans l’imaginaire ou accepter de s’ancrer dans la réalité. À moins qu’elle ne parvienne à trouver un équilibre entre ces options…

J’ai été touchée par ce personnage d’adolescente intelligente et solitaire, qui fait preuve d’une grande maturité pour ses quinze ans et d’opinions bien arrêtées. Morwenna ne s’apitoie jamais sur son sort et reste fidèle à elle-même. Elle sait où sont ses racines, sur quelles valeurs s’appuyer, et est prête à se battre pour les défendre. A aucun moment elle ne cherche la popularité ou ne tente de changer pour se faire accepter. Sa relation si profonde avec les livres ne pourra qu’éveiller un écho auprès de tous ceux qui ont un jour considéré ceux-ci comme des amis précieux, et je me suis beaucoup reconnue en elle.

Et quant à la magie… qu’importe qu’elle prenne sa source dans les livres ou dans le pouvoir des fées, puisque tout ce qui compte, c’est d’y croire.

Morwenna, Jo Walton. Traduit de l’anglais (pays de Galles) par Luc Carissimo. Folio SF, 2016, 417 p.

 

 

 

 

 

 

 

21 thoughts on “Morwenna de Jo Walton, ou le pouvoir salvateur de la lecture”

  1. Coucou !
    J’ai adoré ta chronique, poétique. J’aime décidément beaucoup ton style d’écriture 🙂
    Je ne connaissais pas du tout ce livre, et il me donne envie ! Je note le titre. Aussi, pour quelqu’un qui n’aime pas tellement faire des photos pour son blog (enfin c’est ce que j’ai compris dans les articles précédents), tu te débrouilles assez bien… 😉
    A bientôt !!

    1. Merci beaucoup Nymeria!:-)
      Pour la photo, c’était un de ces moments miraculeux: j’étais inspirée, la lumière était correcte, la déco m’obéissait et Photoshop aussi… si seulement ça marchait toujours commme ça!:-)
      A plus!

  2. J’ai l’impression que je suis là seule blogueuse à avoir émis un avis négatif par rapport à ce roman. Je pense que la plume m’a causé un réel soucis. J’ai beaucoup aimé lire ton analyse et de voir que j’étais un peu trop dure avec ce titre.

    1. J’ai cherché ta chronique mais je ne l’ai pas trouvée… C’est principalement le style qui t’a dérangée? Qu’est-ce qui t’a déplu?
      Ce n’est pas parce que tu ne l’as pas aimé que tu as été trop dure… Moi je suis très preneuse de ce genre de thématique, donc aisément séduite. D’autant plus que je suis moins pointilleuse que d’autres sur le style, surtout quand il s’agit d’une traduction. On a juste des exigences différentes je pense:-)

    1. J’ai trouvé ça assez différent oui, dans le sens où même le côté positif devient sujet à questionnement. Et l’autre côté original c’est l’ancrage dans le folklore du Pays de Galles, que je ne connaissais pas du tout.

  3. Oh la jolie photo !
    J’ai beaucoup aimé lire ton article, j’ai eu sensiblement le même avis que le tien en lisant Morwenna, mis à part la fin qui m’a surprise, j’ai vu ça comme une incursion explicite dans le fantastique alors que j’aimais beaucoup que le doute soit permis sur l’existence des fées avant !
    Mais j’aime bien ton interprétation, j’ai peut-être lu la fin trop vite 😀

    1. Merci Pauline!:-)
      J’ai aussi trouvé la fin plus explicitement « magique », et en même temps rien ne dit que Morwenna retranscrit la scène exactement comme elle s’est passée, on pourrait penser qu’elle n’a pas trop tendance au réalisme et que c’est plus l’aspect symbolique qui compte… En tout cas c’est ce qui me vient à l’esprit maintenant que ton commentaire me fait réfléchir sur la question! C’est ce que je trouve intéressant avec ce livre, on peut vraiment l’interpréter de plein de façons différentes selon qu’on prenne les propos de Morwenna de façon littérale ou pas, le degré de confiance qu’on lui accorde, et ce que nous avons envie de croire… Merci de m’avoir amenée à creuser un peu ma réflexion du coup!:-)

  4. Oh, ce livre a l’air mieux que ce que je pensais ! Je crois que je m’en suis fait une mauvaise image, pas dans le sens où j’étais déjà sceptique avant d le lire, mais je ne sais pas… Je crois que j’imaginais autre chose, sans trop pouvoir t’expliquer quoi d’ailleurs. Ca m’a l’air mystérieux tout ça, je vais voir pour le lire dans les années qui vont suivre 🙂 Sans compter que ce contact avec la nature (si j’ai bien compris) peut rendre les choses plus palpables. Pas fan des fées, mais là, ça me donne plutôt envie.

    En tout cas, chouette chronique 🙂

    1. Mais j’avais zappé ton commentaire, quelle horreur! Désolée!
      Les fées dans ce livre sont très différentes des fées à la Disney… Ce sont vraiment des esprits de la nature qui ressemblent souvent à des plantes, elles ne parlent pas vraiment, et elles sont assez ambivalentes. On voit bien qu’elles sont potentiellement dangereuses et qu’elles ne se laissent pas contrôler. Du coup si tu n’aimes pas les fées « classiques » celles-là t’intéresseront peut-être plus:-) Sinon au niveau du contact avec la nature, c’est surtout dans le sens où l’héroïne vivait dans une zone très sauvage et ça lui manque quand elle se retrouve en Angleterre où la nature est beaucoup plus domestiquée par l’homme. Du coup, les fées et la magie sont aussi moins présentes. Enfin apparemment tout le monde n’accroche pas avec ce livre, mais moi je le recommande:-)

    1. Ah merci! Voilà une petite liste bien utile! En plus, je découvre à cette occasion ton blog et celui de Lorhkan, et je sens que je vais y retourner régulièrement:-)

    1. Il ne t’avait pas plu? Ou tu as aussi mauvaise mémoire que moi pour les livres? J’ai tendance à en oublier les intrigues très très vite, même si je les ai beaucoup aimés, c’est pathétique!

  5. ça faisait un petit moment que je n’étais pas venue par ici. Je ne suis généralement pas très tentée par Jo Walton, pas ma came, mais ta chronique me donne tort, je note donc, pour me laisser amadouer, qui sais 🙂

    1. Coucou Alice, ça fait plaisir de te voir par là! Ma foi je n’ai lu aucun autre livre d’elle et je ne sais pas si celui-ci est plus susceptible de te plaire, mais sait-on jamais:-)

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