Dans Ecriture, mémoires d’un métier, Stephen King livre à la fois des bribes de vie, des conseils d’écriture, certaines de ses sources d’inspiration et une réflexion passionnante sur ce qui fait un bon livre. Ecrit avec la verve qui le caractérise, souvent drôle et parfois touchant, ce mélange d’essai et d’autobiographie se dévore comme un roman.

LE STYLE

A l’origine de cet ouvrage, un constat: personne ne s’intéresse au style des auteurs dits populaires. Comme si l’utilisation d’un vocabulaire simple, de tournures idiomatiques ou d’argot, voire de grossièretés résultait d’une absence de travail sur la langue elle-même. King va donc démontrer le contraire en y consacrant une partie conséquente du livre.

C’est ainsi qu’il insiste sur la maîtrise de la grammaire et, surtout, donne quelques principes qu’il applique systématiquement dans ses textes: c’est l’occasion de piquantes diatribes contre ses ennemis jurés, les tournures passives et les adverbes (vous voyez comme je suis une bonne élève?). Le choix des mots ou la structure des paragraphes font aussi partie des thèmes traités, exemples (parfois hilarants) à l’appui.

En tant que lectrice ou lecteur, on s’amusera à chercher les traces de ces techniques dans les pages des livres de Stephen King. En tant qu’autrice ou auteur (de textes fictionnels ou non), on est toutefois en droit de se demander dans quelle mesure ces conseils, pensés pour la langue anglaise, sont transférables en français.

A mon avis, la plupart d’entre eux passent très bien la frontière linguistique. Je suis juste un peu sceptique concernant le vocabulaire, puisque King recommande d’utiliser le mot qui nous vient en premier lieu à l’esprit pour désigner quelque chose plutôt qu’un autre qui sera peut-être plus joli, mais moins adéquat. Ceci, toutefois, risque de conduire à des répétitions qui sont beaucoup moins bien acceptées en français qu’en anglais. Il faudra alors trouver le moyen de varier son vocabulaire sans tomber dans un excès de tournures alambiquées et synonymes tirés par les cheveux qui feront très artificiel.

Ecritures, mémoires d'un métier, de Stephen King

L’INSPIRATION

Lire Ecriture, mémoires d’un métier, c’est aussi découvrir comment sont nés l’origine de certains des chefs-d’oeuvres de Stephen King. Il imagine Carrie en apprenant l’existence de distributeurs automatiques de tampons dans les douches des filles alors qu’il travaille comme concierge dans un lycée. Rêve la trame de Misery dans un avion et s’empresse de la griffonner sur une serviette en papier à son réveil. De quoi croire que les idées brillantes s’abattent sur le génie comme la foudre sur un paratonnerre? King dément.

Le secret de l’inspiration, explique-t-il… c’est le travail. Ecrire chaque jour, en s’imposant un horaire, à l’abri de toute distraction, et se mettre ainsi à la disposition de la muse… Qui viendra quand elle le jugera bon. Et, même s’il ne le dit pas explicitement, nourrir son imaginaire d’expériences diverses: on retrouve dans les anecdotes de son enfance les racines des histoires qui mettent en scène des gamins truculents, et dans sa fascination pour les films d’horreur et les romans de science-fiction les fondements de son univers.

Mais quel est au fond le fil conducteur d’un roman ou d’une nouvelle? Pour Stephen King il s’agit très clairement de l’histoire: un bon livre, c’est une bonne histoire. Les personnages, les événements, le style, doivent être au service de l’histoire et amener le lecteur à s’y immerger. Les éventuels thèmes plus profonds s’y insèrent presque à l’insu de l’écrivain et peuvent être développés ultérieurement mais ne doivent jamais constituer le point de départ de l’ouvrage.

Je ne suis pas forcément d’accord avec ce dernier point, mais pour avoir été confrontée à beaucoup de bouquins aussi intellectuellement intéressants qu’ennuyeux à lire, je ne peux qu’approuver la nécessité d’une bonne histoire qui donnera tout simplement envie de finir le livre. A moins bien sûr que l’on veuille s’adresser uniquement à des étudiants bien obligés d’aller jusqu’au bout ou à des personnes qui ont une approche très cérébrale de la lecture – ce qui revient à priver sa réflexion d’un large public.

LA VIE

On trouve certaines des pages les plus touchantes parmi celles à portée biographique. Le récit du moment où l’auteur apprend que le manuscrit de son premier roman publié, Carrie, a été accepté par une maison d’édition, puis qu’il va gagner une somme inespérée grâce à la version poche, est très émouvant car il couronne des années de travail et de persévérance.

Stephen King est déterminé à écrire depuis l’enfance et y consacre tout son temps libre, en marge de ses études, des jobs alimentaires minables qu’il aligne après l’université puis de son travail d’enseignant. Dans un coin de la caravane où il vit avec sa famille ou du pressing où il enfourne des draps dans les machines pour un dollar de l’heure. De quoi largement relativiser les excuses du type « manque de temps » et autres « pas de place de travail fonctionnelle » que l’on se donne souvent, et moi la première, pour ne pas mener à bout nos projets. En notant quand même la présence, comme dans tout conte, d’une bonne fée: son épouse Tabitha, elle aussi écrivaine, qui s’occupe pendant ce temps de leurs deux enfants, le soutient dans ses ambitions – et accessoirement ramasse dans la poubelle les premières pages de Carrie, qu’elle encourage son mari à continuer.

Deuxième moment frappant, celui où King relate l’accident qui a failli lui coûter la vie et la manière dont l’écriture de Ecriture – mémoires d’un métier l’a aidé à traverser les longs mois de souffrance physique qui s’ensuivent. Une belle preuve du pouvoir salvateur de l’écriture, et une invitation à regarder le livre sous un autre angle.

Au final, un ouvrage à recommander à tous les fans de Stephen King, aux lecteurs intéressés à en savoir plus sur son approche de la littérature et du style, aux aspirants auteurs et d’une manière générale à toute personne avide de conseils concrets pour améliorer son écriture, fictionnelle ou pas.

 SI CE SUJET VOUS INTÉRESSE…

Vous aimerez peut-être voir comment Stephen King applique lui-même ses propres conseils. Si vous ne le connaissez pas encore, je vous suggère vivement de lire l’un de ses grands classiques, Shining!

A lire si: vous êtes dans l’un des cas mentionnés au dernier paragraphe.
A fuir si: vous êtes allergique à Stephen King et ses écrits.

 

 

 

 

 

5 thoughts on “Ecriture, mémoires d’un métier, de Stephen King: entre conseils d’écriture et autobiographie”

  1. Je sais pas pourquoi mais j’avais loupé ton article…

    Ca doit être intéressant de lire ce qu’il a à dire sur le style ! Comme il est un auteur « populaire », je ne saurais pas comment le défendre au niveau du style, j’avoue… (enfin, j’ai des arguments quand même mais feraient-ils le poids face à un élitiste ? Pas si sûr)

    Je te rejoins pour ce qui est important dans un roman. L’histoire, c’est insuffisant, mais quand il n’y a que le style derrière, ce n’est pas intéressant non plus. Les facteurs sont souvent assez subjectifs : on pourrait croire qu’il faudrait forcément trouver les personnages sympathiques et on voit avec « L’Étranger » de Camus et « Le Parfum » de Patrick Süskind que ce n’est pas forcément le cas ! (ok, ces personnages en exaspèrent certains, tout dépend de l’importance qu’on donne à cet élément) Donc bon, à chacun ses priorités, je suppose.

    Par contre, je ne suis pas d’accord avec vous deux quand au temps d’écrire. Parfois, les conditions ne sont pas réunies et dans le cas de King (jobs en même temps que les cours), ça reste rare. La fatigue, le manque de concentration… Tant d’éléments qui peuvent te faire échouer avant même d’avoir commencé. Ce n’est pas à la portée de tout le monde, donc contrairement à toi, ça ne me fait pas relativiser. Je me dis juste qu’il est très douée, c’est tout.

    1. Tu l’as peut-être loupé parce que j’avais oublié de le partager sur les réseaux sociaux;-)

      Au niveau du style, ce qu’il dit surtout c’est qu’il y a plein de styles différents, du plus minimaliste au plus poétique… et que si le sien est plus « simple » que d’autres, ce n’est pas parce que ça ne l’intéresse pas, ou qu’il se contente d’écrire comme ça lui vient sans réfléchir. Au contraire, il se pose des questions, il suit des principes, il prête attention à la tournure des phrases, au choix des mots, à la structure des paragraphes, au rythme… A un moment, il montre un extrait de texte avant et après correction en expliquant ce qu’il a retouché et pourquoi, c’est vraiment intéressant parce qu’on voit vraiment le processus d’écriture à tous les niveaux!

      Parfaitement d’accord avec toi sur les personnages, pas besoin qu’ils soient sympathiques! Quant à l’histoire et au style, je pense que les deux peuvent s’équilibrer; il ne faut pas que l’un des deux soit très mauvais mais un beau style peut contrebalancer une histoire moyenne et vice-versa, pour moi… Sinon ce que King dénonce c’est plus les romans qui se basent entièrement sur une idée, un message à faire passer; et c’est vrai que j’ai déjà lu des livres dont tu te dis que l’auteur aurait peut-être mieux fait d’écrire une conférence directement… Mais contrairement à lui, je pense qu’on peut écrire un bon roman à partir d’une idée abstraite, il faut juste savoir l’incarner!

      Pour le temps d’écrire, c’est clair que King semble avoir une capacité de travail juste hors du commun. Mais chacun a ses limites et je suis d’accord avec toi qu’une fois qu’elles sont dépassées, ça ne sert pas forcément à grand-chose d’essayer de presser le citron jusqu’à la dernière goutte. Je pensais plus à tous ces moments où, personnellement, je suis UN PEU fatiguée, pas en forme, etc. et où j’utilise ce prétexte pour me coller devant une série ou derrière un bouquin au lieu d’écrire pour le blog ou autre… juste par flemme, en fait.

  2. J’ai longtemps regardé Stephen King de loin en pensant que ce n’était pas pour moi. J’ai vu Carrie au cinéma à sa sortie, un très boçn film, une très bonne histoire… mais quelque chose m’arrêtait sur le seuil de ses romans. Peut-être trop de succès, j’ai le travers de me méfier des best-sellers, il y en a de si mauvais… Et puis j’en ai appris un peu plus sur lui, ses différents pseudo, Richard Bachman, tout ça… j’ai lu une anecdote le concernant. je ne sais pas si elle est vraie, mais elle m’a permis de faire enfin le pas décisif. Un journaliste (un peu idiot, il faut croire) lui demande pourquoi il écrit toujours des récits d’horreur ou fantastiques. Il répond par « qu’est-ce qui vous croire que j’ai le choix? » Depuis que je lis SK, je suis toujours aussi étonnée par la puissance de ses histoires et la fluidité du récit (en français).
    Je commence juste à écrire mon premier polar, que je publie en ligne sur mon blog chapitre par chapitre. Si je pouvais écrire aussi facilement que lui, ce serait le bonheur intégral.
    Je ne pense pas qu’une bonne histoire suffise à faire un bon roman, tout ce qui m’intéresse est en dehors des faits bruts.
    Merci pour cet article qui me donne encore plus envie de lire ces « mémoires du métier ».

    1. Si ça peut te rassurer, je crois que s’il écrit aussi facilement c’est parce qu’il s’y est entraîné toute sa vie… Il explique dans son livre qu’il a envoyé ses premières nouvelles à des magazines à l’âge de douze ans, qu’au début c’était mauvais, mais qu’il s’est amélioré petit à petit, par la pratique et grâce aux retours (même négatifs) des éditeurs. Jusqu’à ce que ça finisse par marcher…
      En tout cas je te conseille cette lecture, si tu es à la fois romancière et lectrice de King, ça ne peut que te parler!:-)

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