Imaginez que vous receviez finalement cette lettre d’admission à Poudlard que vous attendez depuis des années.

Imaginez que la Terre du Milieu existe et que vous en trouviez le chemin.

C’est plus ou moins ce qui arrive à Quentin Coldwater.

Quentin, lecteur assidu, a dévoré pendant son enfance les Chroniques de Fillory et toujours conservé sa passion pour le monde merveilleux qu’elles décrivent – suscitant ainsi l’incompréhension de ses amis, qui ont laissé derrière eux ces gamineries depuis longtemps. Mais alors qu’il s’apprête à passer un entretien d’admission à l’université de Princeton, on l’invite à participer à un examen qui changera le cours de sa vie: l’examen d’entrée à Brakebills, l’une des seules académies de magie du monde. C’est la révélation que Quentin avait toujours attendue… La magie existe. Il peut devenir un magicien.

La saga se décline en trois tomes, mais c’est surtout prise dans sa globalité qu’elle est intéressante; le premier tome ne constitue en grande partie qu’une introduction à la véritable histoire, qui prend son essor dans les tomes 2 et 3 – mes préférés. Difficile donc de vous faire part de mon enthousiasme sans spoiler! Dilemme. Alors je vais vous en parler en termes assez généraux, et si je donne des détails, ce sera uniquement sur le premier tome. OK?

Ce que j’ai particulièrement aimé dans cette saga, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un Harry Potter pour les grands – l’un des arguments marketing du premier livre. Ça l’est d’une certaine manière: le tome 1 est principalement consacré aux études de magie de Quentin, et lui et ses amis s’y comportent… comme des étudiants, beuveries et coucheries comprises. Mais au-delà de ça, Lev Grossman nous incite à prendre de la distance par rapport aux lectures qui ont marqué notre imaginaire comme les Chroniques de Fillory l’ont fait pour Quentin.  À travers de multiples mises en abyme, il développe une réflexion sur la manière dont on lit les oeuvres de fantasy, ce que l’on en attend et son impact sur nos vies.

LA MAGIE, C’EST LE RÊVE?

Idée reçue n°1: la magie règle tous les problèmes.

Si pour Quentin devenir magicien est un rêve d’enfant, la désillusion guette: il ne suffit pas d’être magicien pour être heureux… A Brakebills, Quentin reste le même jeune homme totalement dépourvu de confiance en lui et légèrement dépressif qu’à Brooklyn. La question du sens à donner à sa vie est d’autant plus présente que les magiciens ont la capacité de faire tout ce qu’ils souhaitent et qu’ils peuvent compter sur la magie pour ne jamais manquer de rien d’un point de vue financier. Sans objectif, les élèves de Brakebills flottent donc dans une espèce de vide existentiel et noient leur ennui dans l’alcool, à l’image d’Eliot, le meilleur ami de Quentin. Eliot envisage d’ailleurs d’aller consulter le dragon de la Tamise pour savoir que faire une fois son diplôme obtenu – détail qui m’a bien fait rire et donné plein d’idées, vu mon secteur d’activité.

La magie elle-même n’est pas que féerie et paillettes. D’abord, elle exige un dur labeur. Quentin révise fréquemment jusqu’à l’épuisement. D’ailleurs, astuce: on ne jette pas des sorts tout simplement avec une baguette – non non non, il faut se contorsionner les doigts en psalmodiant des incantations en haut allemand ancien, en phénicien ou en swahili. Ensuite, elle est dangereuse, pouvant causer la mort de ceux qui la pratiquent, voire pire… Et surtout: derrière les univers enchantés que nous racontent les livres se cachent des réalités bien plus sombres.

Photo pour Les Magiciens de Lev Grossman
© Carlos Dominguez – Unsplash

LIRE ET VIVRE SA VIE COMME UN ROMAN

Idée reçue n°2: à la fin de l’histoire, le héros gagne toujours.

Au fur et à mesure de l’avancée de la saga, les frontières entre réalité et fiction deviennent poreuses. Les personnages ironisent sur les différences entre Brakebills et Poudlard. Quentin interprète sa vie à la lumière des Chroniques de Fillory, ouvrage inventé par Grossman mais largement inspiré des Chroniques de Narnia. Il se perçoit comme un héros en attente d’une quête et d’obstacles dont il finira forcément par triompher, parce que dans les histoires, les gentils sont toujours récompensés. Fillory lui-même pourrait d’ailleurs bien être beaucoup plus concret qu’on ne le croit…

Malheureusement, les récits d’aventures qui servent de modèle à Quentin et ses amis sont souvent mal compris, ou alors lus au premier degré – à tort. Les héros ont tendance à oublier que la fiction, par définition, ne décrit jamais exactement la réalité. Qu’entre les lignes d’un roman merveilleux peuvent se cacher des monstres terrifiants et qu’une narration ne reflète jamais qu’un point de vue… qui n’est pas forcément fiable. Que les brillantes victoires s’obtiennent au prix de vies innocentes. Que contrairement à ce que laissent entendre les grandes épopées fantastiques, la vie n’est pas juste et que les erreurs se paient cash. La saga démonte ainsi l’un après l’autre les clichés de la fantasy, déjouant systématiquement les attentes des personnages et des lecteurs.

En fusionnant la vie et la littérature, Grossman dessine une quête initatique dont l’enjeu est double: réussir à décrypter les règles qui régissent sa propre vie comme le texte que l’on lit, et parvenir à en assumer le statut de héros. En suivant Quentin et ses amis de l’âge de dix-sept ans à l’aube de la trentaine, on les voit peu à peu s’affirmer, définir leur propre personnalité, comprendre ce qui compte vraiment et trouver les buts qui leur faisaient tant défaut pendant leurs études. On apprend aussi avec eux à devenir de meilleurs lecteurs, pour pouvoir peut-être passer au stade suivant: celui où l’on maîtrise suffisamment les codes pour pouvoir se les approprier et créer sa propre histoire. Celui où l’on peut cesser d’agir comme le personnage d’un récit écrit par autrui pour devenir l’auteur de sa vie…

QUELQUES DEFAUTS…

Plusieurs points m’ont gênée dans le premier tome. Tout d’abord, cette première partie comporte trop de longueurs à mon goût. Cela peut se justifier car il s’agit aussi de démontrer que les études de magie peuvent s’avérer tout aussi ennuyeuses que le droit, ou que même dans un récit héroïque… il y a des moments où il ne se passe rien, sauf qu’en général le narrateur les passe sous silence. Cela s’inscrit donc bien dans l’entreprise de Grossman, mais ne facilite pas la lecture.

Autre aspect qui me dérange plus car je n’y vois pas de justification, le style que j’ai trouvé trop simple, peu propice à susciter l’émerveillement. Toutefois je dois dire que je n’ai pas ressenti cela dans les tomes 2 et 3, lus en anglais, peut-être parce qu’un style direct et sans fioritures passe en général mieux dans cette langue à mes yeux… Dans ces deux derniers volumes, j’ai par contre apprécié l’ironie dont font très souvent preuve les personnages.

Finalement, j’ai regretté une certaine tendance à expliquer au lieu de montrer s’agissant de la personnalité et de l’état d’esprit des personnages, ainsi qu’un manque de réalisme psychologique à certains moments – en passant par exemple assez superficiellement sur des révélations qui auraient dû déclencher des émotions beaucoup plus profondes chez les personnages. Résultat, j’ai eu du mal à m’attacher à eux au début, notamment à Quentin qui ne nous facilite pas les choses avec son insatisfaction permanente et sa manie de prendre systématiquement la mauvaise décision. Mention spéciale par contre à deux personnages qui m’ont amusée et dont j’ai trouvé l’évolution dans les tomes suivants intéressante, Eliot le dandy et Janet la séductrice dure à cuire.

… MAIS UNE LECTURE TOUCHANTE!

Heureusement, ces défauts sont surtout présents dans le premier tome. J’avoue que j’ai eu envie de décrocher à certains moments, mais je me félicite d’avoir persévéré et lu les tomes 2 et 3, qui m’ont réellement passionnée et grâce auxquels j’ai eu un coup de coeur pour cette saga très bien construite et dont le propos ne peut que parler aux lecteurs d’imaginaire. Elle nous offre un beau plaidoyer pour la lecture et pour l’écriture, les deux activités les plus proches de la magie auxquelles nous pouvons avoir accès – enfin, ceux d’entre nous qui ne sont pas allés à Poudlard ou Brakebills. Beaucoup d’émotions aussi – Grossman mêle brillamment la joie et la tristesse qui vont de pair avec le fait de grandir, de renoncer à certains rêves et de voir s’ouvrir des portes auxquelles on n’avait jamais songé.

Ah, et vous savez quoi?

Ces mondes imaginaires dont vous connaissez les pages par coeur et que vous auriez tellement voulu visiter en vrai… Ils sont réels. Il faut juste en trouver la porte…

Les MagiciensLev Grossman. 3 tomes (Les Magiciens, Le Roi magicien, La Terre du magicien), tous parus en français chez L’Atalante et traduits par Jean-Daniel Brèque.

A lire si: vous l’attendez toujours, cette invitation à Poudlard!
A fuir si: les histoires de magie, c’est pour les enfants.

 SI CE LIVRE VOUS INTÉRESSE, VOUS AIMEREZ PEUT-ÊTRE AUSSI…

La série qui en a été tirée pour la chaîne Syfy et qui compte actuellement trois saisons (la quatrième est en préparation). J’hésite à la regarder, est-ce que quelqu’un l’a vue? C’est bien?

Un roman plus court mais tournant aussi autour de la lecture, et particulièrement des genres de l’imaginaire: Morwenna de Jo Walton, dont je vous ai parlé récemment ici.

Et si cette chronique vous a paru trop générale et que vous voudriez en savoir plus sur le premier tome avant de vous lancer, je vous recommande la chronique bien plus détaillée des Mondes de Blanche, qui m’a donné envie de le découvrir!

 

 

 

 

 

 

2 thoughts on “Les Magiciens de Lev Grossman – et si la magie existait vraiment?”

  1. Merci beaucoup d’avoir mentionné ma chronique! Pour ma part, je vais probablement bientôt entamer le tome II – entre autres séries que je dois terminer! 🙂 Je suis ravie que cette lecture t’aie plu, et je suis d’autant plus curieuse de lire la suite! Très bonne journée à toi!

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