Jeux Olympiques d’été, Montréal, 1976. Les ordinateurs s’affolent. Pour la première fois de l’histoire de la gymnastique, les juges ont attribué un 10, la note parfaite. Nadia Comaneci, gymnaste roumaine de 14 ans, réitère l’exploit 7 fois au cours de la compétition et entre instantanément dans la légende. Cet été-là, des millions de petites filles se rêvent virevoltant sur la poutre, machines de précision en couettes et justaucorps blanc.
Dialogue imaginaire entre une Nadia fictive et une narratrice française, La Petite Communiste qui ne souriait jamais n’est pas une biographie. Plus que l’héroïne de l’histoire, la championne apparaît comme le prisme qui éclaire à la fois la condition des sportives d’élite et un pan de l’histoire roumaine.
La narratrice nous entraîne dans les coulisses de la gymnastique artistique et nous montre la face cachée des médailles: la discipline de fer, la hantise des kilos en trop, les blessures et la peur de l’accident fatal qui sont le lot de toutes les gymnastes. Elle retrace aussi le changement de paradigme qui suit la victoire de Nadia; avant Montréal, la gymnastique, dominée par les soviétiques, était un sport de femmes, de ballerines. Après, elle devient le royaume des fillettes téméraires. Adieu les gracieuses demoiselles: désormais, pour gagner, il faudra être la plus jeune, la plus rapide, la plus légère, celle qui réalise les figures les plus dangereuses. Le must, c’est des petites filles qui frôlent l’accident, remarquera la narratrice, écoeurée.
Au-delà même de la gymnastique, le roman met aussi en scène l’instrumentalisation politique du sport d’élite. Pour le régime de Causescu, Nadia devient le symbole de la supériorité de l’ascétisme et de la discipline communiste sur le consumérisme occidental. Héroïne de la nation, étendard de la dictature roumaine, elle entretiendra avec le pouvoir des liens étroits dont l’auteure montre toute l’ambigüité, entre privilèges et absence totale de liberté. Pourtant, même si le roman dresse un portrait sombre du communisme, c’est sans manichéisme. Au contraire, Lola Lafon, auteure franco-russo-polonaise partiellement élevée à Bucarest, se sert des échanges entre Nadia et la narratrice pour confronter les points de vue: à la vision occidentale d’une Roumanie grise, froide et peuplée d’affamés, elle oppose celle d’un pays où la frugalité amène à la simplicité et à la quiétude, à l’inverse d’un Occident où la surabondance génère frénésie de consommation et frustration infinie.
L’attaque la plus sévère du livre est ailleurs, dans la dénonciation du regard critique posé sur le corps des athlètes féminines par tous ceux qui gravitent dans leur sphère: entraîneurs, juges, médias, public. Ceux qui adulaient la Petite Fée de Montréal, l’Adorable, l’enfant prodige, ne pardonneront en effet jamais à Nadia d’être devenue une femme, et les pages les plus émouvantes du livre sont peut-être celles dans lesquelles la gymnaste perd la bataille contre la puberté, qu’elle appelle la Maladie. Jusqu’à cette excuse face aux journalistes: Je ne pouvais pas mesurer éternellement un mètre quarante-sept… Non? Triste fin d’une icône, d’autant plus révoltante que la pression exercée sur les sportives dont le physique ne correspond pas aux critères de beauté en vigueur n’a guère baissé, comme l’illustrent les nombreuses polémiques à ce sujet en marge des JO.
A la fois portrait d’une championne, récit initiatique et plongée dans le quotidien de la Roumanie de Causescu, La Petite Communiste qui ne souriait jamais porte sur son sujet un regard empathique, mais jamais complaisant. Les phrases de Lola Lafon tourbillonnent, poétiques et acérées comme les pirouettes de Nadia, et font partager au lecteur la fascination que la narratrice éprouve pour celle qu’elle appelle Nadia C.
Lola Lafon, La Petite Communiste qui ne souriait jamais. Actes Sud, 2014.
Je n’ai pas apprécié ce livre. Autant j’ai aimé découvrir la vie de cette gymnaste, l’envers du décor, le contexte politique etc., autant j’ai trouvé que le style était plat, le texte écrit sans grande recherche, le dialogue fictif pas convaincant. Bref, le fond m’a intéressée, mais la forme ne m’a pas plu du tout.
Moi au contraire j’avais été attirée au début par le sujet, mais par la suite j’ai eu beaucoup de plaisir à m’immerger dans le style… J’ai trouvé que l’écriture avait du caractère, de la personnalité… Comme quoi, le même texte peut vraiment provoquer des ressentis différents selon la personne!
Un roman que j’aimerais beaucoup découvrir ! 🙂
J’espère qu’il te plaira:-)
C’est drôle, j’ai justement découvert – et beaucoup parlé – cet été de cette fameuse Nadia Comaneci que je ne connaissais pas du tout.
Le livre dont tu parles semble s’attaquer à bien des sujets, et des sujets assez forts !
En espérant que l’on ne s’y perd pas en route, je m’essaierai à cette lecture qui touche nombre de mes questionnements actuels !
Eh bien j’espère qu’il t’intéressera, si tu le lis dis-moi ce que tu en penses!:-)
Celui-ci sur l’histoire de Nadia Comaneci je veux absolument le lire. D’autant plus qu’il se déroule à Montréal, là où j’habite 😀
Je te souhaite beaucoup de plaisir avec ce livre, alors!:-)
Au fait, je voulais m’abonner à ta newsletter (ou te suivre sur les réseaux sociaux si tu y es), mais je n’ai pas trouvé comment faire sans être inscrite sur Overblog… Mais c’est peut-être moi qui suis mal réveillée…