C’est le dernier moment pour rattraper mon retard de 2018 en vous faisant un petit florilège des lectures que je n’ai pas eu le temps, ou l’envie, de chroniquer! Voici quelques-un de ces oubliés. D’autres ont été mis de côté précieusement et ressurgiront dans des sélections en 2019 (enfin j’espère, depuis le temps que je vous en promets…).

CHANSON DOUCE, LEÏLA SLIMANIChanson douce de Leïla Slimani
La nounou a tué les enfants. À partir de ce constat glaçant, le roman retrace les événements qui ont mené au drame. Un jeune couple parisien plutôt aisé engage Louise pour s’occuper de leurs deux enfants. Celle-ci se révèle la nounou parfaite. Se rend indispensable, et devient finalement le pilier de la famille. Jusqu’à ce que tout bascule.

J’ai lu le Prix Goncourt 2016 à retardement, en craignant la déception. A tort! Leïla Slimani réussit magnifiquement à instaurer une véritable tension, qui porte entièrement sur le pourquoi du terrible acte de Louise. Elle distille subtilement le malaise, de plus en plus prégnant au fur et à mesure que Louise s’insinue dans la vie de ses employeurs et que l’on sent la fin arriver, aussi inéluctable que dans une tragédie grecque. Surtout, elle va au-delà du simple drame psychologique; à travers la relation entre les parents et Louise, c’est toute une dynamique socio-économique que souligne l’autrice.

Chanson douce représente la face sombre de l’émancipation féminine dans nos sociétés: si Myriam parvient à concilier son rôle de mère avec une carrière d’avocate et une vie sociale riche, c’est uniquement grâce à une femme moins éduquée et issue d’un milieu moins favorisé, qu’elle paie mal pour élever ses enfants. Ceci tout en s’aveuglant totalement sur les conditions de vie de son employée et en se donnant bonne conscience à coups de gentillesses plus cruelles que l’indifférence. Un roman que je n’ai pas chroniqué parce qu’il a déjà fait couler énormément d’encre, mais que je vous recommande vivement!

 

THE GIRLS, EMMA CLINEThe Girls d'Emma Cline
Eté 1969. En Californie, les hippies vivent leur Summer of Love aux couleurs du LSD. Evie, quatorze ans, mène une existence banale dans sa petite ville de province. Des parents séparés qui lui sont devenus étrangers, une meilleure amie par défaut, des magazines, des bières, quelques joints et beaucoup d’ennui. Une ado mal dans sa peau comme tant d’autres. Jusqu’au jour où elle aperçoit dans un parc Suzanne et ses comparses. Des filles hors normes, sûres d’elles, imperméables au conformisme et au regard d’autrui. Libres. Sauvages. Evie est fascinée, prête à tout pour s’intégrer à leur monde: une étrange tribu dirigée par un leader charismatique, Russell.

Emma Cline emprunte un chemin détourné pour nous emmener sur les traces de la secte de Charles Manson, connue pour avoir commis des meurtres extrêmement médiatisés en Californie à l’été 1969. A travers Russell, elle décrit l’emprise du gourou sur ses adeptes. Pourtant, c’est Suzanne qui occupe le coeur de son récit, figure de ces filles jeunes et passionnées qui formaient le noyau dur de la « Famille » de Manson. Celles qui ont massacré des innocents pour lui. Suzanne la mystérieuse, que l’on ne perçoit qu’à travers les yeux d’Evie. Suzanne, la lumière noire qui attire irrésistiblement l’adolescente. On sait qu’elle s’y brûlera les ailes. Mais à quel point?

Une Evie adulte plongée dans ses souvenirs donne à cette question une réponse implicite qui rend le roman profondément dérangeant. Car elle sous-entend que chacun peut sombrer dans les abysses. Et pire encore, que ceux qui y échappent passeront parfois leur vie à regretter l’abîme…

J’avais de hautes attentes pour ce roman, dont j’avais lu et entendu beaucoup de bien. Ce qui explique peut-être une légère déception: je n’ai pas vraiment eu le coup de coeur, peut-être par incapacité à sympathiser avec Evie. Il m’aura par contre marquée par une écriture poétique et travaillée, un art de construire des images originales et frappantes qui convoquent immédiatement des sensations et des émotions. Je ne manquerai pas le prochain roman d’Emma Cline.

 

L’APPEL DE LA FORÊT, JACK LONDON
Devenir l’heureuse propriétaire d’une liseuse a quelques avantages collatéraux; ainsi, la mienne était pleine de classiques en version originale, dont je n’avais pas lu la majeure partie! J’ai donc entrepris de combler un certain nombre de lacunes, et me suis attaquée à ce bref récit de l’auteur de Croc-Blanc.

L’Appel de la forêt raconte l’histoire de Buck, chien de compagnie tout à fait respectable et choyé par son maître jusqu’au jour où il est volé. Emmené en Alaska et vendu comme chien de traîneau, Buck est confronté aussi bien à la brutalité humaine qu’à la dureté de la vie dans la nature. Pour survivre dans ce monde rude où règne la loi du plus fort, une seule solution: retrouver son instinct de chasseur. Mais où s’arrête le chien et où commence le loup?

A la fois récit d’aventures, allégorie de la lutte entre instincts primaires et civilisation, et portrait sans concession de la ruée vers l’or, un roman qui peut se lire à plusieurs niveaux et séduira tout particulièrement les amoureux du grand Nord.

 

LE PROBLÈME À TROIS CORPS, Liu CixinLe problème à trois corps de Liu Cixin
Ce premier tome d’une trilogie se déroule en Chine, où le professeur Wang Miao est invité à participer à une enquête portant sur les suicides de plusieurs scientifiques. Amené à s’intéresser de près à une mystérieuse organisation, le savant est témoin d’événements défiant les lois de la physique et à jouer à un mystérieux jeu vidéo qui pourrait bien receler la clé de l’affaire…

J’attendais beaucoup de ce roman de science-fiction acclamé par la critique et les lecteurs. Trop peut-être? Le fait est que je n’ai pas été aussi conquise que je l’espérais. La quatrième de couverture est sans doute en partie à blâmer, puisqu’elle révèle allègrement le mystère que les protagonistes parviennent à résoudre seulement aux deux tiers du livre. Autant dire qu’avec ça, le récit manque légèrement de tension dramatique…

Les personnages m’ont aussi semblé assez désincarnés, peu susceptibles de générer un attachement particulier – le petit je ne sais quoi qui m’a manqué, peut-être. Rien à reprocher sinon à ce roman qui reste assez accessible aux non-scientifiques, à condition d’accepter de se limiter à une compréhension relativement vague de toutes les théories liées à l’astrophysique qui y sont énoncées!

 

SI PAR UNE NUIT D’HIVER UN VOYAGEUR, ITALO CALVINOSi par une nuit d'hiver un voyageur de Italo Calvino
Et voici un OVNI littéraire s’il en est! Calvino place son lecteur dans la peau d’un… lecteur, qui commence un nouveau roman pour s’apercevoir au bout de quelques pages que son exemplaire est victime d’une erreur d’impression et ne comporte qu’une série de feuillets toujours répétés. Il se lance alors à la recherche d’un exemplaire intact, mais à chaque fois qu’il croit se remettre à lire, il s’avère que ce nouveau livre n’est pas le bon et c’est une histoire différente qui s’offre à lui. Toujours séduit par ces nouveaux récits, qui s’interrompent systématiquement pour une raison ou une autre, il se lance dans une quête d’autant plus effrénée que son objet change sans cesse.

Cette lecture est extrêmement déroutante, puisqu’on a affaire à une histoire-cadre (celle du lecteur-protagoniste), perpétuellement interrompue par des fragments d’histoire (les débuts de récits sur lesquels il tombe au fil de sa recherche). C’est très intéressant d’un point de vue intellectuel, d’autant que le livre regorge de commentaires sur la lecture et l’écriture qui apportent une méta-réflexion passionnante. Malheureusement, c’est aussi très frustrant lorsque l’on s’est laissé prendre à l’intrigue et que l’auteur sème à chaque chapitre des obstacles à son avancement. J’ai donc fini par abandonner le livre… pour la deuxième fois. Mais bon, la troisième sera peut-être la bonne, qui sait!

Vous avez lu certains de ces romans? Vous en avez pensé quoi?

 

 

16 thoughts on “Les romans dont je ne vous ai pas parlé en 2018”

  1. Je partage totalement votre analyse du roman de Leïla Slimani (y compris l’absence de déception – ce sentiment porte-t-il un nom ?). La même histoire aurait pu être traitée avec simplisme mais ce piège a été magistralement évité. Moi qui ne suis pas adepte des récits inspirés d’histoires vraies (en littérature comme au cinéma) j’ai fait ici une exception. Ce qui rapproche ce livre de celui de Truman Capote « De Sang-froid ».

    1. En fait j’ignorais totalement que le roman était inspiré d’une histoire vraie! Vous me l’apprenez – c’est encore plus effrayant du coup!
      Pour l’absence de déception, en Suisse on a une expression sympathique: être déçu en bien, qui équivaut un peu à avoir une bonne surprise:-)

  2. Chanson douce et The girls est déjà dans ma pile, et ça fait un moment que je louche sur le Problème à trois corps et Italo Calvino… Donc cette sélection me parle vraiment 😀 affaire à suivre !

  3. Je vois qu’on a toutes les deux lu ce livre de Calvino en 2018, héhé. Il sera dans mon top de l’année, mais je confirme que c’est pas une lecture pour se changer les idées car c’est très prenant intellectuellement parlant. Je le relirai peut-être un jour… Ok, j’ai un autre Calvino à lire cette année, on verra plus tard.

    Pour « The Girls », t’es pas la première que j’entends dire que ce n’est pas non plus un coup de coeur. Ça me rassure de lire ça, voir un livre être mis sur un piédestal, ça peut être à la fois agaçant et frustrant quand tu ne penses pas la même chose.

    Pour « Chanson Douce », j’avais bien aimé pour les raisons que tu cites, mais avait été bloquée par la fin qui me semblait insignifiante et un peu facile par rapport au début magistral.

    Et puis « L’appel de la forêt », voilà voilà, jamais entendu quelqu’un dire qu’il ne l’avait pas aimé 😀

    Tu vas faire un bilan de l’année ?

    1. J’ai été un peu frustrée par la fin de « Chanson douce » aussi, mais plus dans le sens où elle reste finalement assez floue sur les causes, même si on peut les imaginer… C’est mon côté amatrice de polars, j’aime quand l’énigme est résolue!

      Tout à fait pour l’effet piédestal, et en plus c’est pernicieux parce que pour The Girls c’est probablement ce qui a causé l’avis mitigé! J’aurais sûrement plus apprécié mon lecture si je n’avais pas en tête que c’était LA révélation, etc. Et c’est pareil pour « Le Problème à trois corps » dont j’attendais beaucoup à cause des excellentes critiques et qui ne m’a pas emballée.

      Je ne pense pas vraiment faire de bilan… Déjà, je ne me souviens plus de tout ce que j’ai lu en 2018, d’ailleurs j’ai oublié un ou deux romans dans cet article! En plus j’aurais peur de ne pas savoir que dire à part faire un résumé de mes autres chroniques…

  4. Hello,
    Adolescente, j’ai lu « L’appel de la forêt » et j’en était impressionnée, des beaux paysages d’hiver et le charme du grand Nord 🙂
    Calvino figure dans ma liste de lectures pour 2019.
    En 2018 j’ai beaucoup apprécié « La septième fonction du langage » par Laurent Binet, un thiller linguistique passionnant !

    1. Hello!
      Ah, « La septième fonction du langage », je l’avais repéré aussi! Ce sera peut-être pour 2019… Tu m’encourages en tout cas!

  5. Bonjour,
    Un peu tardivement certes, je rejoins votre analyse sur le problème à trois corps, la dernière de couverture a dévoilé une grande partie du suspens. C’est assez fouillu, même si l’on sent une grande force d’écriture. Je n’irai néanmoins pas plus loin que le premier. Quant à Italo Calvino, je ne peux pas être objectif puisque j’adore cet écrivain, je reconnais que son écriture possède une esthétique et un style propres, mais quelle créativité! Ne quittez pas cet auteur sans avoir lu : « Si par une nuit d’hiver un voyageur », merci pour lui.

    1. Eh bien j’ai déjà essayé de lire « Si par une nuit d’hiver un voyageur » deux fois, sans succès… Mais je persévérerai une troisième fois, vous n’êtes pas le seul à m’y encourager!

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