C’est une immersion dans la Venise du 16e siècle que nous propose le dernier roman de l’auteur italien Luca di Fulvio. Plus précisément dans les années 1515-1516 qui ont vu l’établissement d’un ghetto juif, le premier d’Europe, dans la cité. Déjà considérés comme des citoyens de seconde zone dépourvus d’un certain nombre de droits, les Juifs de Venise se verront confinés dans un quartier dont les portes seront closes pendant la nuit. Un événement qui occupe une place centrale dans le récit, comme symbole d’un amour impossible : celui de Mercurio et Giuditta, les deux héros du roman. Mercurio, orphelin, voleur, as de l’arnaque, roi du déguisement; Giuditta, talentueuse fille d’un médecin juif. Tout les sépare: la religion, les lois de Venise, le père de Giuditta, les nombreux ennemis de Mercurio. Trouveront-ils enfin la liberté dont ils rêvent?
UNE OEUVRE PUISSANTE ET MAITRISEE…
Le mot « romanesque » aurait pu être inventé pour décrire Les Enfants de Venise. Aucun ingrédient ne manque à cette saga de près de 800 pages: passion, jalousie, héroïsme, vengeance, catastrophes, complots, repentir, trahison, amitié, avidité, sacrifices… Les rebondissements se succèdent dans une intrigue parfaitement ficelée. Autour des deux amoureux gravitent toute une série de personnages que l’on peut difficilement qualifier de secondaires tant ils sont travaillés. Qu’il s’agisse du capitaine qui noie sa détresse dans le vin, de l’ex-prostituée victime des démons de son passé, du gamin perdu, du fanatique religieux ou du brigand assoiffé de pouvoir, tous sont parfaitement crédibles. Luca di Fulvio explore leurs sentiments, désirs et motivations avec autant de rigueur que d’empathie. Mais c’est la minutie avec laquelle l’auteur reconstitue la Venise de jadis qui m’a laissée vraiment admirative. De l’architecture des prisons à la construction des bateaux, chaque élément est dépeint avec tant de précision que l’on se projette dans les lieux aussi facilement que s’il s’agissait du café du coin. J’ose à peine imaginer le travail de documentation nécessaire pour arriver à restituer aussi bien l’ambiance des bas-fonds de la Sérénissime.
Inutile, en effet, de chercher dans ce roman les fastes des palais ou les lumières du carnaval. La Venise que nous fait visiter Luca di Fulvio est boueuse, insalubre et envahie par les rats. C’est celle des déshérités, des putains et des escrocs, où l’on vous égorge pour quelques pièces d’or. Celle de l’Inquisition, de la torture et des bonnets jaunes obligatoires pour les Juifs. La vie n’y vaut pas grand chose, celle des miséreux encore moins. Et pourtant, le courage et la générosité s’y cachent aussi, petites étincelles enfouies sous les armures de ruse et de violence qu’il faut s’y forger pour survivre. Eclats de lumière qui transcendent religions et classes sociales et qui, peut-être, ouvriront les portes d’une vie libre à ceux qui sauront les faire grandir… C’est ce qui fait de ce livre un roman profondément humain et un magnifique hymne à la tolérance autour de problématiques ô combien actuelles.
… MAIS UNE RENCONTRE PAS TOTALEMENT REUSSIE
Oeuvre très bien construite, bien écrite, rythmée, pleine de souffle et de vigueur, Les Enfants de Venise m’a pourtant relativement peu touchée. J’ai mis beaucoup de temps à entrer dans l’histoire et ne me suis sentie vraiment emportée que dans le dernier tiers du livre. Il faut dire que je ne suis pas vraiment une adepte des romans historiques. De plus, j’ai eu du mal à sympathiser avec Giuditta et son père pendant un certain temps. Je pense tout simplement que je ne suis pas très sensible à ce genre de grandes sagas à la narration assez classique. Il m’a probablement manqué le zeste d’ironie, la touche de réflexivité, le côté contemporain qui me séduisent le plus souvent. Je n’étais peut-être pas la lectrice idéale pour ce livre, ce qui ne diminue en rien ses nombreuses qualités! Si l’idée de vous plonger dans le passé de la Cité des Doges en compagnie d’une galerie de personnages truculents et au caractère bien trempé vous tente, n’hésitez pas une seconde, vous ne le regretterez pas!
Les Enfants de Venise, Luca di Fulvio. Traduit de l’italien par Françoise Brun. Slatkine & Cie, Paris, 2017. 798 p.
Ce roman m’a été offert par Slatkine & Cie, que je remercie vivement.