En 1995, Cheryl Strayed a vingt-six ans. Sa mère, avec qui elle entretenait une relation fusionnelle, est morte. Suite à la tragédie, les liens avec les autres membres de sa famille se sont distendus. Le sexe et la drogue n’ont pas apaisé le chagrin de Cheryl, mais ont détruit son mariage. Alors, sur un coup de tête, elle décide de laisser derrière elle sa vie brisée. Cheryl démissionne, vend tout ce qu’elle possède pour acheter du matériel de randonnée, et se lance sur le Pacific Crest Trail, un sentier mythique qui traverse la Californie, l’Oregon et l’Etat de Washington. Seule, sans entraînement ni connaissances préalables, elle parcourra près de 1800 kilomètres en trois mois. Wild est le récit de cette expérience hors du commun.

UN RÉCIT SANS ARTIFICES

Impossible de ne pas ressentir, à la lecture de cet essai autobiographique, un mélange d’admiration et d’incrédulité. Incrédulité devant la naïveté de Cheryl et sa préparation pour le moins sélective: qui, avant un tel périple, pense à emporter des préservatifs mais ne s’inquiète à aucun moment du poids de son matériel? Avec pour résultat de se retrouver munie d’un sac qu’elle parvient à peine à soulever au jour du départ… Admiration devant sa ténacité, ensuite: car Cheryl marche malgré tout, avec ce sac bien trop lourd qu’elle surnomme Monster, dans des conditions souvent épouvantables.

Au contraire d’un Sylvain Tesson lorsqu’il raconte son hiver sibérien, Cheryl Strayed n’enjolive pas son aventure d’un vernis de métaphores, ni n’en esquive les aspects les moins reluisants. Oui, elle est terrorisée lorsqu’elle croise un ours ou se fait prendre en chasse par un taureau furieux. Oui, le paysage est beau, sublime parfois, mais cela ne l’empêche pas de s’ennuyer, à avaler les kilomètres sans personne à qui parler. Oui, marcher entre dix et trente kilomètres par jour, sous le soleil brûlant du désert de Mojave, de la neige jusqu’aux genoux dans la Sierra Nevada, dans les forêts humides de l’Oregon, ça fait mal. Le corps de Cheryl se rebelle, ne lui épargne rien, ni les cloques, ni les blessures partout où son sac prend appui, ni les courbatures, ni les douleurs insupportables aux pieds qui dureront jusqu’au dernier jour. Et surtout, non, passer trois mois dans la nature équipée du strict minimum, ce n’est pas poétique, ce n’est pas glamour: Cheryl boit de l’eau boueuse filtrée à la main, crève de faim quand elle a mal calculé son réapprovisionnement, porte des habits crasseux et pue la transpiration. Mais elle continue. Elle pourrait renoncer mille fois, mais elle continue, portée par une force mentale et une volonté devant lesquelles on ne peut que s’incliner.

Wild par Cheryl Strayed avec sac à dos et chaussures de marche

UN CHEMIN VERS SOI-MÊME ET LES AUTRES

Au récit de la vie quotidienne de Cheryl sur le sentier se mêle celui de sa vie passée, des événements qui l’ont conduite à prendre la route. Un retour en arrière qui nous permet de mieux saisir le contraste entre la fille paumée qu’elle était et la femme déterminée que le sentier la mène à devenir. D’observer encore comment la solitude et le dénuement lui permettent de se retrouver elle-même, mais aussi, paradoxalement, de revenir à des liens sincères et profonds avec les personnes qui croisent son chemin: les autres randonneurs qui constituent vite une seconde famille, les habitants des villages qui lui offrent parfois un sandwich ou une douche. Le retrait dans la nature et la solitude apparaît comme une parenthèse nécessaire plutôt qu’une fin en soi; un retour à soi-même et à des relations authentiques avec ses semblables et non pas un rejet d’autrui. J’ai apprécié cet aspect de la philosophie de Cheryl Strayed, qui me semble opposée à la vision proposée par Sylvain Tesson.

L’AVENTURE TOTALE

Je me suis souvent demandé, en lisant ce livre, à quel point la notion d’aventure était presque obligatoirement plus extrême en 1995 que de nos jours. Car Cheryl et les autres randonneurs du PCT sont vraiment coupés de toute civilisation. Pas d’ordinateur, pas de téléphone portable, pas de GoPro pour filmer la fuite devant l’ours, pas de compte Instagram pour poster les plus belles photos à des followers qui retrouvent la vie sauvage par procuration. Pour s’orienter, sans GPS? Des boussoles et des cartes. Le ravitaillement? Des colis qui les attendent dans des bureaux de poste, à environ quinze jours de marche les uns des autres. Pour tous moyens de communication, les cabines téléphoniques de ces mêmes bureaux de poste. Dans lesquels parfois, une lettre rejoint Cheryl… On est bien loin des insta-aventuriers sponsorisés par des marques d’équipement outdoor, tout comme des Mike Horn et autres explorateurs médiatiques dont chaque expédition mobilise d’impressionnantes ressources techniques et logistiques! Aussi bien les risques encourus que l’exploit accompli n’en paraissent que plus grands.

AU-DELÀ DE LA PEUR

Wild, c’est encore et surtout une magnifique incitation au dépassement de soi et de ses peurs. Cheryl va bien au-delà de ses limites, autant physiques que mentales. Mais malgré toute sa persévérance, jamais elle n’aurait réussi si elle n’avait pas d’emblée refusé de céder à la peur. Peur des nuits de camping solitaire en pleine nature, dans des régions infestées d’ours et de pumas; peur des mauvaises rencontres toujours possibles; peur des accidents… A tous ceux qui lui demandent si elle n’a pas peur et si elle a une arme – les questions qu’on lui pose le plus fréquemment – Cheryl répond par deux non. Pas parce qu’il n’y a aucun danger, mais parce qu’elle a décidé de ne pas se laisser entraîner dans la spirale de l’angoisse.

Je ne partirai jamais randonner sur le PCT. Mais je referme Wild avec cet espoir que si Cheryl a pu le faire, peut-être que je serais moi aussi capable de dépasser mes limites. Que la plupart d’entre nous en seraient capables, avec la bonne motivation. Et peu importe que cela consiste à marcher 1800 km en pleine nature ou à partir pour un week-end en solo dans une ville voisine.  L’essentiel est de savoir que cette force de sortir de notre zone de confort est là, et qu’en cas de besoin, nous pourrons faire appel à elle et en ressortir grandis.

A lire si: Vous ressentez l’appel des grands espaces ou un besoin de rupture avec votre vie quotidienne.
A fuir si: Vous recherchez un guide de voyage du PCT, ou au contraire une méditation sur le sens de la vie détachée de considérations pratiques.

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Wild a été adapté au cinéma sous le même titre en 2014 (2015 pour la VF). Le film (que je n’ai pas vu) a valu des nominations aux Oscars à ses deux actrices principales, Reese Witherspoon (dans le rôle de Cheryl) et Laura Dern (la mère de Cheryl).

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