Des personnages féminins intéressants, beaucoup d’originalité, une dose de romance et une autre d’amitié, un soupçon d’art, un poil de science et une pincée de magie, le tout parfumé aux saveurs du San Francisco des années 40: voilà la recette de Passing Strange, d’Ellen Klages.

Au coeur de cette novella, l’amour fou entre deux femmes. Une histoire qui est loin d’aller de soi à une époque qui n’accepte ni l’homosexualité, ni les femmes qui sortent des rôles que la société leur assigne traditionnellement. Artistes, avocate, mathématicienne, les héroïnes de Passing Strange aiment les femmes, vivent sans hommes et les concurrencent professionnellement. Ce sont des marginales, qui doivent recourir à de multiples stratégies pour survivre et s’épanouir dans un monde qui les rejette.

Pseudonymes, déguisements et double vie deviennent ainsi leurs meilleurs alliés pour mener leur existence comme elles l’entendent dans une relative sécurité. Paradoxe qui est toujours d’actualité à l’heure du harcèlement sur les réseaux sociaux: pour une femme qui sort du rang, revêtir une fausse identité permet d’être soi-même sans risques… L’amitié est aussi une ressource déterminante pour les anticonformistes. Passing Strange offre de beaux exemples de solidarité féminine. Ses héroïnes forment une véritable famille, source de réconfort et de soutien sans faille là où les familles biologiques sont au mieux absentes, au pire une menace. C’est l’un des aspects de ce livre que j’ai trouvés particulièrement touchants.

Livre, robe et chemise avec cravate

Autre élément déterminant, la magie. Passing Strange est en effet un récit fantastique dans lequel le surnaturel apparaît par petites touches, mais joue un rôle décisif. Ellen Klages invente des formes de magie très originales, comme l’ori-kami, qui permet de créer des raccourcis dans l’espace-temps grâce à des pliages de papier. A la suite du roman, une nouvelle développe le fonctionnement et l’usage de l’ori-kami, et souligne l’un des aspects les plus intéressants de la magie dans Passing Strange: elle est fondamentalement apparentée à l’art et à la science. L’ori-kami nécessite des calculs complexes et l’établissement de cartes à la précision millimétrée; sa pratique tient beaucoup plus de la physique que du jetage de sort. D’autres formes de magie font appel à l’imagination. Le savoir, l’intelligence, la créativité artistique et intellectuelle sont en eux-mêmes des pouvoirs magiques pour une femme qui sait s’en servir. Cette vision dans laquelle intellect et sensibilité ne s’opposent pas mais se complètent pour devenir un outil d’émancipation me parle énormément.

J’ai beaucoup aimé aussi découvrir le San Francisco des années 40 à travers la plume d’Ellen Klages. Le bar où les touristes viennent s’encanailler aux côtés des travesties. L’Exposition universelle où les plus grandes avancées scientifiques de l’époque se mêlent aux spectacles de prestidigitation et aux grands noms de la peinture. Les dédales des rues des vieux quartiers. Les échoppes de Chinatown. Plus qu’un décor, San Francisco devient un véritable personnage: la ville mythique, ultime refuge qui accueille un jour où l’autre toutes les brebis galeuses.

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé Passing Strange, pour son originalité et les femmes indépendantes et courageuses qu’il met en scène. Je ne peux donc que vous recommander de le lire si les sujets évoqués titillent votre curiosité! Il n’a qu’un seul bémol à mes yeux, mais je me dois de le mentionner car ça fait partie des choses qui m’agacent: la traduction française comporte trop de coquilles et de fautes pour un livre issu d’une maison d’édition.

Passing Strange, Ellen Klages. Traduit de l’anglais (US) par Eric Holstein. ActuSF, 2019, 222 p. Suivi de la nouvelle Caligo Lane et d’une interview de l’autrice.

A lire si: vous êtes tenté·e par un roman fantastique original avec des personnages féminins intéressants.
A fuir si: vous recherchez de la fantasy pure.

J’ai gagné ce livre grâce à un concours sur le blog La bibliothèque d’Alphonsine,  dont je remercie encore la créatrice! Et je vous conseille vivement de passer sur son blog si vous aimez le 19e siècle, réfléchir sur la littérature, et le mélange des genres entre auteurs classiques, jeu de rôle, ballet et jeu vidéo.

2 thoughts on “Passing Strange, d’Ellen Klages”

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