Une nouvelle enquête du commissaire Richard Jury, de Scotland Yard, et de son inénarrable acolyte l’ex-lord Ardry! Moi qui suis les aventures de cette paire mal assortie depuis des années, autant dire que je me suis jetée sur le roman à peine aperçu sur les rayonnages de la bibliothèque. Alors, cet opus était-il à la hauteur?

Vertigo 42, c’est le nom d’un bar au sommet d’un gratte-ciel de la City londonienne. En anglais, les romans de Martha Grimes portent souvent pour titre les noms (tout à fait improbables) de pubs qui tiennent une grande place dans les enquêtes de Jury. Pour une fois, la traduction française conserve cette spécificité, fort à propos puisque les hauteurs, les chutes et le vertige jouent un rôle important dans le roman! C’est aussi au Vertigo 42 que Jury rencontre l’ami d’un ami, Tom Williamson. Celui-ci lui demande de rouvrir l’enquête sur la mort de sa femme Tess, survenue seize ans auparavant et alors classée comme accident. Jury accepte… et met alors le pied dans un engrenage qui va vite s’emballer! Alors que de nouveaux cadavres apparaissent, les questions se multiplient… Qui est cette belle jeune femme tout de rouge vêtue dont on retrouve le corps inanimé au pied d’une tour? Son décès est-il lié à celui de Tess? Suicide, accident ou assassinat? Quel rapport avec la chute qui a coûté la vie à une petite fille dans le jardin des Williamson? Et enfin, d’où vient le molosse abandonné errant dans les rues de Long Piddleton? Se pourrait-il que la solution se cache dans Vertigo, le film d’Hitchcock?

L’intrigue ne manque ni de suspense, ni de rebondissements. Martha Grimes prend grand plaisir à égarer ses personnages et ses lecteurs sur de fausses pistes, avant d’amener les détectives à fournir dans les dernières pages une interprétation à peu près cohérente des indices qu’elle a semés comme le Petit Poucet ses cailloux. Malheureusement, à coup de trop d’invraisemblances pour être vraiment crédible… Mais comme c’est l’atmosphère de ses livres qui m’attire plus que la rigueur narrative, je suis toute prête à pardonner ce défaut!

Couverture de Vertigo 42 par Martha Grimes

En effet, bien que ses romans prennent place dans l’Angleterre contemporaine, c’est une Grande-Bretagne délicieusement fantaisiste et désuète que dépeint Martha Grimes en piochant allègrement dans tous les clichés à sa disposition. On y prend le thé accompagné de scones et de crème à cinq heures, on sirote un porto devant la cheminée d’un club pour gentlemen, on participe à des concours d’horticulture et parfois on se croirait franchement dans une parodie d’Agatha Christie. Chez Martha Grimes, on évolue le plus souvent dans les hautes sphères de la société et quand on s’aventure dans les bas-fonds, c’est pour y rencontrer des personnages hauts en couleur et fréquemment comiques, en partie grâce aux contrastes entre leurs manières, disons, brutes, et le langage châtié des protagonistes principaux. Vertigo 42 ne déroge pas à cette règle: Jury fait quelques allusions superficielles à la différence de classe qui existe entre lui, fonctionnaire salarié, et les riches héritiers qu’il fréquente; des incursions dans les banlieues déshéritées de Londres soulignent l’atmosphère délétère qui y règne, sans toutefois donner lieu à une quelconque analyse ou réflexion approfondie. Amateurs de réalisme et de critique sociale, passez votre chemin. Qu’on ne s’y trompe pas, j’apprécie les polars engagés… Mais rire en lisant, ça fait du bien, aussi!

Et j’ai ri quelquefois, souri souvent, à la lecture de Vertigo 42. Ceci principalement grâce à la joyeuse clique d’excentriques qui gravite autour du mélancolique commissaire Jury. Son adjoint, le sergent Wiggins pour qui un interrogatoire ne se conçoit pas sans une tasse de thé (et si possible une pâtisserie). Sa voisine, l’exubérante et quelque peu envahissante Carole-Anne. Et toute la bande d’oisifs qui passe ses journées au pub du petit village de Long Piddleton dans le Northamptonshire. A leur tête, Melrose Plant, devenu ex-lord Ardry après avoir renoncé à son titre pour faire enrager sa tante Agatha, une américaine avide de noblesse britannique et de petits fours. Sans renoncer toutefois à jouer le rôle du parfait seigneur campagnard, quitte à engager un ermite salarié pour faire plus authentique – jadis, tous les châteaux avaient leur ermitage, selon Country Life… Ses démêlés avec son cheval, son bouc, son chien et son majordome (tous accessoires également indispensables à une véritable vie de gentleman farmer), ainsi qu’avec les témoins qu’il se charge d’interroger, figurent parmi les passages les plus savoureux du livre. Une série de figures récurrentes dans les romans de Martha Grimes lui emboîtent le pas: le très chic antiquaire Marshall Trueblood, la belle Vivian Rivington… On se délecte à observer tout ce petit monde débattre du nom à donner à un chien perdu ou échafauder des hypothèses sur le meurtre de la femme en rouge. En telle compagnie, l’absurde n’est jamais très loin, pour le plus grand bonheur des personnes sensibles à ce type d’humour – dont je fais partie!

Au final, la lecture de Vertigo 42 s’est apparentée à des retrouvailles avec de vieux amis autour d’une enquête qui m’a tenue en haleine malgré quelques défauts de construction. Mais alors, ce roman est-il réservé aux aficionados de Martha Grimes? Non, sans doute, car l’intrigue en elle-même est parfaitement autosuffisante et compréhensible sans connaître l’univers de l’auteure. En revanche, je pense que vous apprécierez plus Vertigo 42 si vous avez déjà lu l’une ou l’autre de ses oeuvres, car vous comprendrez mieux les relations entre les personnages et les réflexions qui traversent l’esprit de Jury. D’autant plus qu’au-delà des « habitués » déjà mentionnés, plusieurs seconds rôles issus de précédentes enquêtes font une apparition ici ou là. Les allusions à de « vieilles connaissances » sont aussi nombreuses, marque sans doute de la nostalgie dans laquelle se complaît le commissaire Jury.

Vertigo 42, Martha Grimes. Trad. française par Nathalie Serval, Presses de la Cité, 2016. 

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